Les systèmes d'approvisionnement en eau potable simplifiés (AEPS) fournissent un meilleur service que les pompes à motricité humaine (PMH), et ce à moindre coût. C'est l'une des conclusions tirées d'une étude approfondie sur l'approvisionnement en eau dans quatre petites villes de la région du Sahel, la plus pauvre du Burkina Faso. [Pezon, 2013.]
Publié le: 28/02/2014
Il n’est guère surprenant que l’eau des AEPS distribuée vers des bornes fontaine ou des branchements privés constituent un meilleur service que l’eau fournie par une PMH.En effet, le point de distribution est plus proche l’eau est accessible sans efforts, via un robinet et la salubrité de l’eau est garantie. La forte demande pour ce type de service est encore plus étonnante sachant que son prix est dix fois plus élevé que celui d’une PMH pour des usagers consommant de 10 à 20 litres par jour.
Un constat encore plus inattendu est le fait que le coût réel de ce service d’un niveau plus élevé est en fait plus bas. Les économistes admettent depuis John Stuart Mill (1806-1873) que la distribution d’eau potable en réseau simplifié relève d’un monopole naturel et que par l’effet de l’économie d’échelle, le coût moyen de production diminue à mesure que la quantité d’eau offerte augmente. Aussi, au-delà d’un certain volume (exprimé en m3 ou en nombre d’habitants), la distribution d’eau par réseau s’avère moins chère que par des dispositifs autonomes tels que les PMH dont le coût moyen est constant.
Monopole naturel
En bref, un monopole naturel permet de produire plus à moindre coût dans la limite de ses capacités de production. Autrement dit, le coût moyen diminue sur l'ensemble des quantités produites parce que le coût marginal n'augmente pas avec l'augmentation de la production. Par conséquent, si le coût marginal est toujours inférieur au coût moyen, celui-ci sera toujours décroissant.
Dans le secteur de l’AEPHA, on considère en général que la desserte par réseau simplifié est un mode d’approvisionnement financièrement inaccessible pour les zones rurales. La densité de la population est trop faible pour mettre en place et maintenir des réseaux viables. Or, notre étude démontre que ce n’est pas nécessairement vrai (voir le tableau ci-dessous), du moins dans les villages et petites villes observés.
Si l’on prend en compte toutes les composantes de coûts, et notamment l’appui aux gestionnaires de PMH et aux autorités responsables des services d’eau pour la surveillance de l’approvisionnement décentralisé et de la demande réelle telle qu’exprimée par le nombre effectif d’usagers, il s’avère que l’eau d’un système d’approvisionnement en eau potable simplifié coûte moins cher par usager que l’eau d’une pompe à motricité humaine dans les sites étudiés. C’est le cas même à Titabé, où la capacité maximale du réseau est de 10 000 m3 ou de 1 500 personnes.
Coûts unitaires pour la fourniture d’eau par réseau et par PMH dans 4 petites villes (USD, 2011)
Bonne nouvelle ! Il n’y a pas de raison de continuer à mettre de l’argent dans des systèmes d’eau qui coûtent plus cher et fournissent des services médiocres, voire inexistants. L’eau de réseau est salubre et permet plus facilement de sortir du cercle vicieux de la pauvreté lié au manque d’eau que n’importe quel système communautaire de gestion de points d’eau autonomes. Ces points d’eau peuvent tout au plus à la survie (si tant est que l’eau est potable) : l’eau de réseau ouvre la voie au développement. En outre, elle est plus équitable : elle est plus accessible aux populations démunies que l’eau des systèmes autonomes.
À cause du mécanisme d’économique d’échelle – coûts moyens décroissants – chaque usager supplémentaire coûte moins cher que l’usager précédent. Il est dans l’intérêt de tous les usagers, anciens et nouveaux, ainsi que dans l’intérêt des fournisseurs de service que tous les habitants aient accès à un service d’eau. Desservir tout le monde bénéficie à tous. Alors, qu’est-ce qui empêche l’atteinte de cet objectif ?
Contraintes et difficultés
Est-ce que mon village est assez grand, est-ce que la densité est assez forte ?
Une première contrainte est constituée par la taille et la densité de la population du centre rural. Notre étude indique que le nombre minimum de personnes nécessaire pour rendre un service par réseau viable est bien inférieur à ce que l’on peut supposer (voir figure ci-dessous).
Graphique : investissement par personne pour la fourniture d’eau par PMH et par AEPS, pour les centres de1 500 à 3 500 habitants.
La taille de la population peut même être inférieure SI tous les usages de l’eau sont pris en compte et si la capacité de production est adaptée aux besoins des populations rurales. On sait que les besoins en eau des populations rurales ne concernent pas seulement les usages domestiques (boisson, cuisine, hygiène). Notamment dans les zones arides et semi-arides comme le Sahel, l’eau est surtout nécessaire pour les usages productifs. 60 litres par personne et par jour sont considérés comme quantité de base pour couvrir les besoins domestiques et productifs en zone rurale. Pour un village de 500 habitants, il faudrait donc environ 10 000 m3 d’eau pour couvrir tous les besoins domestiques et productifs pendant un an. Ce qui correspond à peu près à la capacité actuelle du réseau de Titabé.
Y at-il un régulateur qui canalise les bénéfices du monopole vers les usagers ?
Une deuxième contrainte concerne la façon dont le profit généré par l’AEPS (monopole naturel, en terminologie économique) est réparti entre l’opérateur du service, l’autorité responsable du service d’eau et les plus démunis. Pour que ceux-ci puissent bénéficier en premier de l’eau en réseau, le système doit être régulé. Le suivi des coûts et de la qualité du service aux échelons appropriés est essentiel pour une bonne régulation de l’accès viable et équitable à l’eau.
L’échelon où s’effectue le suivi des coûts et des niveaux de service change selon le type de régulation, c’est-à-dire le niveau administratif responsable du suivi – soit de la qualité de service, soit des coûts. Pour favoriser le développement de la distribution d’eau par réseau, il serait pertinent d’aligner l’échelon des tâches de régulation sur le type de régulation.
Depuis plusieurs années, l’IRC a mis au point et a testé des approches et des outils dans plusieurs pays permettant d’aider les autorités régulatrices à évaluer la performance des services d’eau. L’évaluation est un élément essentiel de la régulation. Elle commence par le suivi de la qualité et du coût du service fourni. L’approche fourniture de service et l’approche des coûts à long terme peuvent être toutes deux appliquées aux réseaux d’eau et aux systèmes décentralisés. De plus, elles sont appropriées pour chaque type de régulation.
La régulation des AEPS en zone rurale au Burkina Faso
Au Burkina Faso la principale difficulté de la régulation des AEPS est la non-conformité entre le type de régulation et l’échelon où les principales tâches de régulation (suivi de la qualité de service et coûts à long terme) sont effectuées. Les AEPS sont régulés par les prix, mais le suivi des coûts est une tâche exécutée au niveau local, alors que le suivi de la qualité est de la responsabilité du Ministère de l’Eau, des Aménagements Hydrauliques et de l’Assainissement (MEAHA). Les autorités locales ne sont tout simplement pas capables d’assurer le suivi des coûts, et le suivi des services effectué à des échelons supérieurs se limite actuellement à la vérification de la fonctionnalité des ouvrages d’eau une fois par an.
Afin d’appuyer le développement des AEPS, il est recommandé d’aligner l’échelon des tâches de régulation sur le type de régulation. Il faudrait appuyer les communes ou les autorités responsables de l’eau dans l’exécution du suivi direct de la qualité du service d’eau fournis par les AEPS. Le MEAHA devrait enrichir et mettre à jour les connaissances en matière de coûts afin de fournir au secteur des données exactes sur le coût unitaire pour permettre la planification et la contractualisation de la fourniture eneau.
IRC Burkina Faso soutient les communes d’Arbinda et de Gorgadji dans le suivi de la qualité des services fournis à leurs habitants par des PMH et par des AEPS. [http://www.waterservicesthatlast.org/countries/initiative_du_burkina_faso]
Repenser l’aide au développement
La figure ci-dessous montre que la composante de coût de loin la plus importante d’une PMH concerne l’appui aux organisations communautaires de base (OCB) chargées de la gestion des pompes et aux autorités responsables de l’eau pour la planification et la surveillance des OCB.
Piped water: AEPSHand pump: PMH
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Dans le cas des PMH des villages étudiés, tous les coûts récurrents, sauf les coûts d’exploitation, sont essentiellement financés par l’aide au développement. Les coûts d’exploitations sont couverts par une redevance des usagers sur le prix de l’eau. Si les pompes semblent moins chères que les réseaux, c’est parce qu’on a tendance à ignorer qu’une somme équivalente à 10 à 20 fois la contribution des usagers par an est consacrée à la coordination et à la gestion de ces points d’eau.
Ces résultats remettent sérieusement en cause l’efficacité de l’aide. Quel est l’intérêt à subventionner des modèles de fourniture de service dont la qualité est insuffisante, dont le coût unitaire est trop élevé, qui n’offrent aucune garantie quant à la qualité de l’eau fournie et qui maintiennent les plus démunis dans le cercle vicieux de la pauvreté ?
Par Christelle Pezon (IRC)
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