On croit en général que les PMH sont la technologie la plus appropriée pour les zones rurales du Burkina, mais cette supposition a été réfutée par une étude récente portant sur 900 PMH et 7 systèmes d'adduction d'eau potable simplifiée (AEPS) dans la région du Sahel.
Publié le: 10/03/2014
Patrick a ouvert le débat par une thèse provocatrice sur les pompes à motricité humaines (PMH). S’agissant des PMH, le secteur de l’eau rural opère encore selon un modèle suranné, propre au XIXe siècle. C’est un peu comme si on se servirait encore de deux boîtes de conserve et d’une ficelle pour téléphoner à l’ère de la communication numérique ! Pourquoi est-ce que nous essayons encore et toujours d’améliorer le bout de ficelle ? Actuellement, un forage qui coûte environ 10 000 dollars dans certaines parties d’Afrique, a un rendement potentiel énorme. Pourtant nous faisons une fixation sur la pompe à 500 dollars qui limite le débit du forage, et ce malgré le fait que les besoins des populations rurales en eau, tous usages confondus, sont plus importants que les quantités fournies par les pompes. Il est temps de passer à autre chose.
Introduisant une optique plus globale, Richard Franceys a encouragé les participants au débat à réfléchir à l’évolution de la demande, tant au niveau micro que macro, et aux conséquences des changements des règles du jeu pour le secteur de l’eau en milieu rural.
Se basant sur les statistiques établies par Hans Rosling, Richard a expliqué qu’à l’heure actuelle, un milliard de personnes vivent avec un dollar ou moins par jour, 4 milliards vivent avec 10 dollars ou moins par jour, tandis que le reste de la population mondiale dispose de 100 dollars ou plus par jour. Cependant, la répartition de la pauvreté a fortement changé au cours des dernières décennies, avec le nombre de personnes vivant avec un dollar ou moins diminuant rapidement, notamment en Asie.
Cette tendance devrait se poursuivre, avec l’ensemble de la population mondiale passant au-dessus du seuil de un dollar par jour dans un futur proche. Cet accroissement de la prospérité – stimulé par l’enrichissement des producteurs suite à la flambée mondiale du prix des denrées alimentaires – signifie que les gouvernements et les populations auront de plus en plus d’argent à dépenser pour des services d’approvisionnement en eau.
En Inde par exemple, l’augmentation de la richesse a enclenché des progrès fulgurants, avec les dernières directives politiques visant l’extension rapide des réseaux d’eau en milieu rural pour atteindre une couverture de 80 % d’ici 2022. Ce but peut être atteint grâce à des projets de grande envergure, dont le dernier en date, organisé conjointement par le gouvernement indien et la Banque mondiale, mobilise un milliard de dollars pour desservir les États accusant le plus de retard. D’une manière générale, un PIB par habitant de 1 000 dollars semble être le seuil au-delà duquel ce genre de bond en avant devient possible, même si d’autres facteurs jouent un rôle, comme le ratio recettes publiques/PIB.
Pour mettre les choses en perspective, Richard a expliqué qu’une société de consommation se développe en général à partir d’un PIB par habitant de 5 000 dollars, alors qu’au Royaume Uni, le PIB par habitant était de 10 000 dollars avant que les communautés rurales ne fussent dotées d’un réseau d’eau, et de 15 000 dollars avant la mise en place du système d’égout.
Si la croissance au niveau macro est importante, il s’agit aussi pour le secteur de mieux comprendre la demande au niveau micro et la réalité sur le terrain afin d’y répondre de façon adéquate. Pour illustrer son propos, Richard a décrit le cas d’Andrea et Olivia et leurs huit enfants, pour lesquels l’approvisionnement en eau n’est qu’une préoccupation quotidienne parmi tant d’autres.
La famille doit marcher deux heures par jour pour s’approvisionner en eau, pourtant, dès qu’il dispose d’un revenu supplémentaire, la priorité d’Andrea est d’investir dans un toit en tôle pour la maison. La rentrée d’argent suivante est consacrée à l’achat d’un vélo, équipement considéré comme indispensable. Il servira à porter l’eau et à transporter les légumes au marché. Le prochain investissement prévu est pour une motocyclette, toujours avant l’amélioration du service d’eau pour la famille. Cet exemple montre bien que l’approvisionnement en eau n’est pas forcément la priorité la plus urgente pour les familles comme celle d’Andrea et d’Olivia dont les ressources limitées peuvent être allouées à plusieurs postes de dépenses.
Dans son exposé, Christelle a expliqué qu’au Burkina Faso il y a un modèle traditionnel et un « autre » modèle pour l’approvisionnement en eau en zone rurale. Le premier, basé sur le principe de l’aide pour des pompes à motricité humaine (PMH), repose sur la gestion communautaire et sur un appui institutionnel limité. L’ « autre » modèle comprend des petits réseaux d’adduction avec des bornes fontaine au niveau des habitations, et bénéficie d’un appui institutionnel minime.
On croit en général que les PMH sont la technologie la plus appropriée pour les zones rurales du Burkina, mais cette supposition a été réfutée par une étude récente portant sur 900 PMH et 7 systèmes d’adduction d’eau potable simplifiée (AEPS) dans la région du Sahel. Les observations ont montré que les AEPS rencontrent une plus forte demande parmi les usagers, procurent un niveau de service plus élevé et peuvent être moins chères que les PMH. C’est notamment le cas dans les villages de plus en plus nombreux de 2 000 à 10 000 habitants, qui regroupent actuellement 50 % de la population totale du Burkina.
Au démarrage du service, les coûts à long terme sont plus élevés pour les AEPS, mais à mesure que le volume d’eau total fourni augmente, ils deviennent plus compétitifs que les PMH – à partir de 10 000 m3 par an environ. Les performances des AEPS sont également meilleures pour tous les indicateurs retenus par le gouvernement : qualité, distance, affluence et quantité. La forte demande des usagers pour les AEPS est surprenante, sachant qu’ils payent un tarif 10 fois plus élevé pour 15 litres par jour. Ces résultats montrent que les populations rurales sont prêtes à payer plus pour obtenir un service globalement meilleur.
Catarina a présenté ses conclusions sur les nouvelles données recueillies au Ghana et en Mozambique dans le cadre de son étude éclairant le « point de vue des ménages ». Elle propose une perspective historique basée sur la littérature, mais remet aussi en question le « modèle standard » de technologies appropriées – le plus souvent des pompes à motricité humaine – offertes aux communautés comme source collective. Dès les années 1960, il est déjà question de pannes, mais cela n’a pas empêché l’installation à grande échelle d’ouvrages du même type entre les années 1970 et 1990. Pendant la décennie suivante, le secteur a commencé à mieux comprendre la nature du dysfonctionnement de ces technologies, mais ce n’est qu’à partir de 2010 qu’un changement de discours s’opère et que l’accent est mis sur la phase post-construction et sur le renouvellement et la réhabilitation des équipements. Pour autant, le « modèle standard » n’a toujours pas fondamentalement changé.
À l’aide de données issues du projet WASHCost, notamment deux séries de résultats d’enquêtes auprès des ménages – 1 339 réponses au Ghana et 1 710 au Mozambique – Catarina a essayé de définir les défaillances du modèle standard. En effet, il s’avère que même les plus défavorisés, ceux qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté (avec moins de 1,25 dollar par jour), sont prêts à investir dans un service amélioré. Les résultats montrent en particulier que les ménages souhaitent avoir un branchement à domicile ou un robinet dans la cour et consentiraient à payer plus pour l’obtenir. Le montant qu’ils sont prêts à payer pour un service collectif du type PMH est moins élevé. Même une très légère hausse du revenu (entre 0,5 et 0,8 dollar par personne et par jour) suffit pour marquer un changement en faveur d’un approvisionnement individuel de proximité.
Ceux qui disposent de 0,8 dollar par personne et par jour en plus ont davantage tendance à s’approvisionner à des sources moins nombreuses, à parcourir des distances plus courtes pour chercher l’eau, à bénéficier de plus grandes quantités d’eau et à contribuer plus au coût d’investissement et à l’exploitation et la maintenance. Pour les personnes interrogées, la proximité et la qualité perçue sont les facteurs les plus importants déterminant leur choix de source d’eau.
Dès l’ouverture du débat, une motion a été déposée stipulant que d’ici 2025, plus aucun gouvernement ne devrait intégrer les PMH dans leur politique publique de l’eau. Dans les zones rurales, il convient de passer d’un service d’eau potable à un service d’eau à usages multiples. Les PMH limitent le débit des forages qui pourraient être mieux exploités avec d’autres technologies. Mais, plus fondamental encore, la fin de la pompe manuelle signifie aussi la fin du modèle de gestion communautaire qui a souvent été mis en place pour assurer l’exploitation et l’entretien des PMH collectives et qui s’est montré si gravement défaillant au cours des dernières décennies.
Les détracteurs de cette thèse ont contesté les preuves des avantages des autres technologies de service d’eau. L’étude menée au Burkina Faso a en effet montré que les systèmes par adduction (AEPS) fonctionnent bien, mais d’autres expériences du secteur suggèrent qu’il s’agirait là d’une exception. Ce point est particulièrement important dans le cas de zones rurales avec de nombreux petits villages éparpillés où la mise en place de réseaux d’eau reviendrait beaucoup trop cher en termes de coût par personne desservie. Par ailleurs, les participants se sont demandé si les données présentées concordent avec les constats des autres études WASHCost qui elles, indiquent que les systèmes de distribution par réseau coûtent plus cher et fournissent des niveaux de service moins élevés. Il est donc prématuré d’annoncer la fin de la PMH, sachant que les autres options ne sont pas encore suffisamment au point en milieu rural.
Selon d’autres participants, ce sont les mentalités qu’il faudrait changer. C’est la perception d’un état de pauvreté qui peut conduire les populations à penser qu’elles ont seulement droit à une PMH collective, mais les décideurs politiques et les professionnels du secteur sont également imprégnés par cette idée. Les résultats initiaux des études WASHCost sur les AEPS étaient limités, mais une analyse plus approfondie montre que même les personnes vivant bien en dessous du seuil de pauvreté sont prêtes à payer plus pour un meilleur niveau de service si l’occasion se présente. Le principal facteur déterminant leur choix est la proximité, et cet aspect peut plus facilement être assuré par une AEPS que par une PMH communale.
Une des conclusions remarquables des études concerne l’accessibilité financière des réseaux d’eau en milieu rural. Selon une idée reçue et largement partagée, le coût d’investissement élevé des systèmes d’adduction rend cette technologie économiquement non viable. Or, il y a très peu de preuves confirmant cette théorie. Disposant dès à présent de plus de données nouvelles, celles-ci devraient être prises en compte. Elles indiquent en effet qu’une AEPS – pour un volume d’eau suffisant – est d’un meilleur rapport qualité-prix qu’une PMH, sachant que les usagers sont prêts à payer des tarifs plus élevés pour ce service. Compte tenu de ce constat, il s’agit donc de remettre en question notre idée de l’accessibilité financière.
Les participants se sont accordés pour dire que le modèle de fourniture d’eau actuel devait être changé, et que ce sont surtout les aspects de gouvernance, de gestion et de professionnalisation qu’il est urgent d’améliorer. La PMH reste une option intéressante pour des ménages individuels comme source d’appoint, ou dans certains cas comme source principale, notamment en Asie du Sud. Le secteur devrait examiner la question de l’adéquation entre les conditions sur le terrain et le type de système d’approvisionnement en eau : la taille de la population, sa distribution, ses capacités, l’environnement physique, etc. sont autant de facteurs qui influencent le choix d’une option. Les types de technologies sont parfois confondus avec les modèles de fourniture de service dans les discussions.
Par rapport aux questions sur les caractéristiques des populations, la tendance semble être à un accroissement des petites agglomérations rurales de 1 000 à 10 000 habitants. Ce phénomène s’observe de plus en plus en Afrique et en Asie, et le secteur doit en tenir compte et s’adapter à cette nouvelle donnée.
En réponse à la question de savoir si le remplacement des PMH par des AEPS est vraiment la seule piste à suivre, d’autres options ont été mises en avant : par exemple, des réseaux de distribution limités équipés de pompes motorisées peuvent être appropriés pour fournir suffisamment d’eau pour différents usages productifs. Dans certains contextes, une pompe à corde peut rendre de bons services. Un praticien a relaté son expérience au Burkina où, dans certains villages, les habitants ne souhaitent rien de plus qu’un simple puits ouvert. Il est clair que chaque contexte demande une solution différente.
À la fin du débat, il a été question de « politique ». En présentant les conclusions de ce débat à un public plus large, il convient de tenir compte des réactions de rejet éventuelles des décideurs politiques face aux options assez radicales proposées. Des messages appropriés devraient être mis au point incitant les intéressés à réfléchir aux pratiques courantes sans les mettre sur la défensive. Dans le cas du programme très réussi WASMO au Gujarat par exemple, il a d’abord fallu que les autorités de l’État reconnaissent leur incapacité à fournir des services adéquats à la population avant qu’ils n’adhèrent au programme. Les gouvernements allouent des sommes considérables à des projets de PMH défaillants, et rediriger une partie de ces fonds vers des AEPS rurales semble une mesure logique, mais les défenseurs d’une telle transition seraient bien avisés de réfléchir soigneusement à leur stratégie de plaidoyer.
Passer de l’assistanat au développement – présentation par Christelle Pezon (IRC)
Dans sa présentation lors du débat d’hiver de l’IRC, Christelle Pezon a expliqué qu’au Burkina Faso il y a un modèle traditionnel et un « autre » modèle pour l’approvisionnement en eau en zone rurale.
Par Paul Hutchings, 14 février 2014
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