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Publié le: 09/08/2013

 Pour son doctorat, Rachel Norman a étudié près de 640 000 documents (…) et s’est aperçue qu’il y avait 79 méthodes différentes de suivi dans les documents relevant du secteur de l’AEP. Avec cette prolifération de données et de méthodes, les personnes concernées seraient probablement plus intéressées par un outil d’analyse. Il semble que ce soit le point faible, puisque l’on a tendance à oublier le « pourquoi » et "l’usage" du suivi alors que l’on continue à lancer de nouvelles initiatives pour rassembler des données et les surveiller. Ainsi, la Nation Wide Initiative en Éthiopie a employé 65 000 recenseurs pour sonder 12 000 000 de ménages. L’enquête a coûté 100 000 000 Birr (5,4 millions US$), soit près d’un demi dollar par foyer sondé, pour des résultats qui n’étaient pas tellement différent de ceux obtenus par le très établi (et très critiqué) Joint Monitoring Programme (JMP). Et pourtant, il semble que les résultats des deux enquêtes soient remis en question, attaqués ou même contestés ! Donc oui, je suppose que c’est pour trouver des solutions d’analyse de données que tant de personnes sont venues à Addis. Pourtant, la session sur "l’histoire du suivi", co-présentée par l’UNICEF et IRC, m’a fait réaliser que nos idées n’étaient pas nouvelles, que les énoncés des problèmes étaient récurrents et que nous avions simplement réagrémenté la même terminologie pendant les 50 dernières années. Le même colloque sur le suivi des services d’AEP aurait pu se tenir pendant la "décennie Watsan", voire dans les années 70.

La diapositive montrant la croissance exponentielle de la production de rapports sur le suivi dans les 50 dernières années était remarquable. Initialement, les rapports sur le suivi mondial étaient produits tous les cinq ans. Ensuite vinrent les rapports biennaux, suivi par une explosion de rapports annuels publiés pour un lectorat particulier. A notre connaissance, un merveilleux résumé de tous ces travaux imprimés sur papier recyclé se désagrège lentement dans les archives de l’OMS. Plus de données, moins de rapports Katharina Welle, une autre doctorante, nous a appris qu’il n’est pas rare que l’application de deux méthodes de suivi dans le même contexte produise deux résultats différents.

On pourrait arriver à différentes conclusions à partir des mêmes données, selon vos objectifs. Je ne suis pas régulièrement les conférences, mais j’ai participé à quelques-unes au cours des quelques quinze dernières années. Il me semble qu’il est obligatoire d’inclure dans nos conclusions des recommandations pour plus de coordination, d’harmonisation et de moyens. Et plus de recherche bien-sûr, de manière à produire plus de rapports ! Il existe cependant une cruelle différence entre la forte augmentation du nombre de rapports des ONG et des chercheurs d’une part et la relative faiblesse des travaux reposant sur des données collectées régulièrement dans le cadre du suivi à l’échelle d’un pays. Le déferlement de rapports auquel on fait face provient d’initiatives, d’importances variables, qui sont le plus souvent sans lien avec le réseau de suivi national.

Pour faire simple, on a besoin de plus de données nationales et de moins rapports (mais avec plus de sens). Le suivi du secteur de l’AEP s’apparente au fonctionnement d’un radar : on voit beaucoup de bruit sur l’écran, et seuls quelques bips significatifs apparaissent. On assiste à une prolifération de méthodes et trop de rapports sont produits. On finit par oublier que c’est l’utilisateur final qui devrait guider nos efforts, alors que nos recommandations visent le plus souvent à clarifier les responsabilités, à augmenter les capacités et à entreprendre plus de recherches. Dans le même temps, nous sommes tous des êtres humains ; nos propres actions ne sont pas forcément les meilleures ni en accord avec ce que l’on recommande aux autres. Le fils du dentiste a de mauvaises dents J’ai aussi entendu des présentations liées à l’étude sur le rapport coût-efficacité de l’hygiène (Hygiene Cost Effectiveness Study), menée à travers quatre pays dans le cadre du projet WASHCost. Pour étoffer des données insuffisantes dans le domaine de l’hygiène, des ménages ont été sondés.

La présentation a exposé en détail la méthodologie et les résultats pour les différents pays. Ces résultats étaient très intéressants, mais je dois avouer que j’étais un peu perdu et que mon esprit s’est égaré sur le sondage des ménages en soi. Je me voyais ouvrant la porte de mon foyer, écoutant des explications sur l’étude du rapport coût-efficacité de l’hygiène. Je m’imaginais répondant aux questions sur mon âge (43), sur la taille de mon ménage (3) et sur mes revenus (pas pauvre). Je confirmais que je possédais des toilettes avec une chasse d’eau et que je les nettoyais moi-même, mais que j’étais réticent à montrer au sondeur l’intimité de ma plus petite pièce. Il continuait à me poser des questions sur mon réseau de canalisation (100% fiable) et sur le stock d’eau dans mon foyer (nul, à part une bouteille dans le frigo).

Le sondage imaginaire se terminait par des questions sur la toilette anale (c’est pas ses affaires) et sur le lavage fréquent des mains. Je confirmais que je me les lavais toujours, même si c’était un mensonge. Je sais que je dois utiliser du savon, et pourtant, je me lave les mains de manière plutôt irrégulière. L’étude sur le rapport coût-efficacité de l’hygiène, ai-je entendu, a révélé que dans un village ghanéen de 1 870 habitants, les services sanitaires s’étaient améliorés de 1% sur un an. Je ne suis pas surpris par un chiffre si faible. Après tout, nous sommes tous humains. Ou bien… nous souffrons du même syndrome que le dentiste dont le fils a de mauvaises dents. Je suis ingénieur dans le secteur de l’AEP depuis près de 20 ans, et si quelqu’un doit connaitre des choses sur le lavage des mains, c’est bien moi. Je suis l’exemple vivant qu’une bonne hygiène est payante. J’ai été admis à l’hôpital Saint Gabriel à Addis-Abeba le tout premier jour du colloque avec une dysenterie bacillaire diagnostiquée. Je ne m’étais lavé les mains ni avant de manger la nourriture offerte dans l’avion, ni à l’aéroport de Francfort pour quelques encas. Et bien sûr, j’aurais dû me laver les mains avant de manger un  déjeuner éthiopien  (injerrahat). Je suis conscient de l’importance de l’hygiène, mais ma pratique ne suit pas. J’ai été vraiment heureux de ne croiser personne avec une feuille de sondage à l’hôpital Saint Gabriel, me questionnant sur mes connaissances, mes points de vue et mes pratiques. Souvent, vous devez être votre meilleur maître. Contrôlons moins, engageons plus !

Laissons les utilisateurs finaux de nos services trouver leur rôle dans le suivi des services qu'ils reçoivent. Restons simples et transparents. Et par-dessus tout, n’oublions pas que l’objectif de notre suivi – ou des bips sur le radar – est de contribuer à la pérennité de la fourniture des services d’AEP. Notre suivi devrait être directement lié à cela. Le reste ne sera que du bruit. Rutger Verkerk, Senior Programme Manager au Centre international de l’eau et de l’assainissement - IRC - au Pays-Bas, est expérimenté dans la gestion internationale de l’eau et des territoires. Après avoir travaillé plus de dix ans dans le cadre de l’aide humanitaire, il a rejoint IRC en 2006. Il a développé un premier protocole de suivi pour IRC, puis est devenu manager  pour le projet WASHCost et – plus récemment – a commencé à coordonner les acquisitions.  

Article originel en anglais : http://www.source.irc.nl/page/78442, 16 Avril 2013.

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