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Publié le: 07/06/2011

Cette histoire a été contée par Amai (Mère) Toriro avant sa mort, en 2010 au Zimbabwe, des suites d'une maladie liée au sida. Le message qu’elle souhaitait  ainsi porter à la connaissance des lecteurs est qu'elle avait changé sa vie en reprenant une activité avec l'aide d'un club communautaire de santé. Amai Toriro n'est pas morte seule, ou en détresse.  Les membres de sa communauté l’ont reconnue pour sa valeur et non pas comme une simple malade.
 
 Je m’appelle Amai (Mère) Toriro. Voici l'histoire de la façon dont ma vie a changé quand je suis devenue membre d'un club de santé. En 1995, mon mari m’a rejetée, pour aller vivre en ville et me laissant seule avec mes sept enfants. [Il est revenu six ans plus tard, atteint du sida dont il est mort en 2003.]

Mon mari ne m'a laissé rien laissé. Au début, la vie a été difficile car nous n'avions pas d'argent, jusqu'à ce que j'adhère au club communautaire de santé initié par l’organisation zimbabwe AHEAD. L’histoire se passe dans le district de Makoni dans la province de Manicaland au Zimbabwe.

Nous avons appelé notre club « Rujeko » qui signifie Lumière ! J'ai assisté aux séances de santé chaque semaine pendant six mois et y ai appris tant de choses. Cela m'a inspiré pour comprendre comment prévenir la diarrhée, la bilharziose, le paludisme, les maladies de la peau, les vers, et même le VIH / SIDA, mais surtout comment prendre soin de ma famille grâce à une bonne hygiène. J'ai terminé les vingt leçons de santé et obtenu mon certificat en 1996. L'année suivante, mes enfants et moi avons creusé une latrine à fosse et notre propre puits profond. Plus tard, j'ai fixé une pompe manuelle sur le puits grâce à l'argent que j'avais gagné. Entretemps, en 1998, je suis aussi devenue la présidente du club.

Chaque semaine, nous avions des devoirs « de maison » devant nous permettre d’améliorer notre mode de vie. J'ai ainsi fabriqué un support à casseroles qui permet aux ustensiles de sécher au dessus du sol. J'ai creusé une fosse à ordures, nous permettant de garder propre la cour. Ma cuisine est si belle, avec ses étagères en argile faites maison et toutes bien disposées. Mon eau est couverte correctement et nous puisons l'eau de boisson soigneusement avec une louche. Nous savons que l'eau insalubre, la nourriture sale, les mains sales provoquent la diarrhée. Mes enfants ne sont plus malades.

 

Une cuisine impeccable à l’intérieur d’une hutte de terre

En 1999, tous les membres du club avons suivi une qualification pour devant nous permettre de faire des revenus. Certains ont appris à coudre des moustiquaires, et d'autres ont appris comment presser de l’huile pour en fabriquer du savon. Dans notre région plus d’une centaine de personnes ont suivi  les cours de fabrication de papier. Mes deux enfants ont également été formés et ils obtenu un emploi à plein temps dans la fabrication du papier. Pendant les moments difficiles au Zimbabwe, cela nous a aidés à survivre car ils sont allés à Harare où ils ont pu travailler.

Certains membres du club ont été formés à l’apiculture. Pour cela, nous avons dû planter des arbres, car les abeilles ont besoin d'arbres, et notre région est du coup devenue très verte. J'ai commencé avec une simple hutte en terre, mais avec mes revenus de la vente de légumes et d’herbes, j'ai construit une maison de quatre chambres ; c’est moi-même qui ai confectionné les briques et fait recouvrir le toit de feuilles de tôle. J’ai aussi maintenant une irrigation goutte à goutte. Je gagne dorénavant autant qu'un employé de bureau avec la vente de légumes, d’herbes et de miel.

Quelque chose de très important pour moi, en tant que femme, est de prendre soin de ma maison et de mes enfants. J’ai moi-même leurs frais de scolarité jusqu'au BEPC. Je leur ai toujours dit que s’ils voulaient une vie meilleure, ils devaient avoir des compétences. Tous mes enfants ont donc adhéré au club, ainsi que mes amis, ce qui nous a permis de nous retrouver à chacune des réunions hebdomadaires et de planifier ensemble certains projets. Je suis heureuse et je me sens libre et satisfaite de chaque activité. Je suis maintenant autonome grâces à ces connaissances que j’ai acquises pour bien vivre.

Notre club de santé aide les villageois qui rencontrent des problèmes. Nous savons par exemple comment guérir les petites infections dues au sida. Je suis par ailleurs formatrice de district en nutrition pour ZimAHEAD. A ce titre, je forme les soignants sur la manière de gérer et de prendre soin des patients. Je dispose de plus de 70 variétés d’herbes dans mon jardin, dont je connais tous les noms et tous les usages.

Nous nous entraidons les uns les autres pour les funérailles, grâce à un prêt renouvelable. Nous soutenons aussi les orphelins et les veuves en leur fournissant de la nourriture et des vêtements.

 

Femmes fortes : les femmes du club communautaire de santé fêtent l’obtention d’un certificat qui couronne leurs six mois de cours. Mme Toriro (au centre) est entourée de la coordonnatrice de projet, Josephine Mutandir, (à gauche) et de la formatrice Mme Rezen (à droite).

Nous continuons de nous rencontrer chaque semaine pour planifier de nouveaux projets. Nous jouons au netball, nous nous rappelons les bonnes pratiques en organisant des concours du meilleur domicile. Dans notre région, il y a vingt clubs de santé qui, tout comme celui de Rujeko, comptent chacun plus d’une centaine de membres. Au total, le district de Makoni comptabilise plus de 200 clubs, soit environ 20 000 membres.

Cela représente autant de femmes qui, comme moi,  vont entretenir leur domicile et soigner leurs enfants, qui ainsi seront plus forts et auront toutes les chances de survie. Je suis satisfaite de ce que j'ai fait de mon temps ici-bas, et cela même si j'ai moi aussi cette terrible maladie qu’est le sida et devrai bientôt mourir.

Epilogue 

Mme Toriro est décédée en 2010 du sida, mais elle a donné un bel exemple par son énergie et son dévouement envers la communauté. Beaucoup de personnes sont venues à son enterrement. Grâce à son propre dur labeur, elle a amélioré son niveau de vie et celui de sa famille. Même si elle s’en est allée prématurément, elle est partie en étant heureuse et elle est aujourd’hui dans le souvenir de tous, dans le district de Makoni. Comme elle me l’avait  dit une fois : « Maintenant, je ne suis plus personne »…  Une femme abandonnée à elle-même est souvent impuissante, mais il n'y a rien de plus fort qu'un groupe de femmes motivées.

Amai Toriro telle que racontée à Juliet Waterkeyn, Africa Ahead (L’Afrique avance)

L’une des histoires lauréates du Concours de récits 2011

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