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Publié le: 02/12/2013

La gestion des connaissances est un impératif majeur pour toute organisation évoluant en relation avec de nombreux intervenants.
 

Les divers acteurs ont en effet besoin de coopérer, d’apprendre ensemble, de mobiliser leurs ressources intelligemment et en anticipation de besoins ou d’opportunités présents ou futurs. La complexité des rapports de travail favorise les acteurs à même de faire ce travail en interne et en partenariat. Cet impératif se fait sentir dans bon nombre de sous-secteurs du développement et notamment du secteur AEPHA.

Une étude menée il y a maintenant plus de deux ans par l’IRC suggérait que le secteur AEPHA du Burkina Faso en était à des prémices, à l’échelle du secteur, en dépit de bonnes pratiques et d’initiatives novatrices isolées ça et là. Le travail mené par l’IRC avec ses partenaires pour mobiliser les connaissances, compétences et informations produites vont dans ce sens et ont vocation à se renforcer.

L’interview menée avec Jocelyne Yennenga Kompaoré, chef d’entreprise du cabinet Performances, met en lumière son parcours pionnier dans le champ du partage des connaissances et de la capitalisation des expériences au Burkina Faso. De tels modèles, et les idées qu’avance Jocelyne, pourront peut-être inspirer les acteurs du secteur AEPHA à se lancer dans cette démarche et à travailler plus intelligemment ensemble.

De passage à Ouagadougou en septembre dernier Ewen Le Borgne a visité son amie et consœur de KM4Dev et SA-GE, Jocelyne Yennenga Kompaoré, directrice fondatrice de l’atelier Performances. Pionnière de la gestion des connaissances dans le « pays des hommes intègres » (Burkina Faso), Yennenga a accepté cette interview dans laquelle elle revient sur son choix de ce domaine, les tendances qu’elle observe et ce qu’elle conseillerait à d’autres entrepreneurs emboitant ses pas.

Ewen Le Borgne (ELB) : Yennenga, comment définirais-tu la gestion des connaissances ?

Jocelyne Yennenga Kompaoré (JYK) : Gérer les connaissances c’est avoir un certain nombre de réflexes, c’est aussi mettre en place une certaine organisation en interne afin de ne pas éparpiller, gaspiller, perdre les connaissances que l’on acquiert soit par l’expérience, soit par des échanges avec d’autres personne ou tout autre mode d’acquisition du savoir. La gestion des connaissances, c’est un ensemble de décision et d’actions que l’on peut prendre et entreprendre une fois que l’on a répondu à ces deux questions : (1) de quelles connaissances ai-je besoin dans le cadre de mon travail ? (2) Qu’est-ce que j’ai appris par mon expérience que je peux transmettre, partager avec d’autres personnes ?

(ELB) : Pourquoi as-tu choisi le domaine de la gestion des connaissances et comment as-tu démarré dans ce domaine ?

(JYK) : Le terme ‘gestion des connaissances’ m’est venu après la rencontre KM4Dev de Bruxelles en 2009. Je menais déjà des activités de prestation dans ce domaine et j’inventais puis testais des méthodologies et différents process sans pouvoir mettre un nom à mes prestations. En fait, c’était assez embarrassant, car je me sentais à part. Dans mon environnement, on avait tendance à m’associer aux agences de communication, ce que Performances n’est pas. C’est donc pendant la rencontre KM4DEV que j’ai découvert l’expression gestion des connaissances et je me suis presque exclamée : voilà ! C’est ce que je fais !

Mes premiers pas dans la gestion des connaissances remontent à 2000.  J’ai été recrutée dans une ONG dans l’est du pays, où j’ai travaillé pendant trois ans pour capitaliser les expériences d’organisations paysannes ; je travaillais avec les leaders de ces organisations pour retranscrire ces expériences et voir comment on pouvait l’écrire de manière optimale. Mon travail consistait en grande partie à faire des interviews, à les retranscrire, à analyser ces retranscriptions pour en extraire ce que je pouvais et les ré écrire de façon attrayante afin de les partager avec le maximum d’organisations paysannes. On part avec un mot, un thème, et on atterrit avec un livre, une vidéo, une émission radio. C’est un processus concret de fabrication de produits transmissibles.

Mon premier thème de travail c’était la gestion dans les organisations paysannes. Très surprenant pour quelqu’un (moi) qui ne s’y connaissais pas spécialement en gestion. Mais à la fin du processus, mon évolution dans la connaissance de ce thème était spectaculaire. Au-delà des produits, les méthodologies sont très importantes.

(ELB) : Observes-tu des tendances dans la gestion des connaissances au Burkina Faso ?

(JYK) : Aujourd’hui l’expression gestion des connaissances commencent à faire son entrée dans le vocabulaire des organisations. Même si on ne voit que certains aspects, comme la capitalisation d’expérience, concept beaucoup plus courant par ici et qui a quelque peu détrôné celui de « suivi-évaluation ». Mais c’est déjà une grande évolution qui montre que l’on commence à accorder de l’importance au savoir local. L’impact étant que de plus en plus d’organisation prévoient une rubrique « capitalisation » dans leur budget. Je pense avoir contribué à cet état de fait, juste par le fait de l’existence de l’atelier Performances et la sensibilisation que j’ai faite auprès des organisations paysannes et de leurs leaders. Je leur dis : « vous pouvez introduire la capitalisations de vos expériences dans vos programmes. Là au moins, vous pouvez démarrer sans partenaires financiers ! Commencer par dresser une carte de vos savoirs et prioriser les thèmes sur lesquels vous estimer que vous avez quelque chose à partager. Je peux vous y aider ».

Une autre tendance – et c’est peut-être dommage – c’est que la capitalisation a tendance à avoir lieu à la fin des projets. Je conseille de ne pas attendre la fin et de s’y mettre dès le démarrage pour pouvoir conserver le maximum du cheminement.

(ELB) : Qu’est-ce-que tu aimerais vraiment faire si ça ne tenait qu’à toi ?

(JYK) : Je voudrais développer l’édition, la diffusion. Quand on arrive au document, souvent les finances ne suivent plus. Je voudrais mettre en place un système de diffusion et de production. Par ailleurs, la transmission est essentielle pour moi car je suis consciente, que toute seule ma capacité de production restera faible quel que soit mon expertise. Je ne serai satisfaite que quand j’aurais réussis à former une « masse » importante de ressources humaines locales dans la sous-région. La mise en place d’un système efficace de formation est un de mes grands chantiers du moment.

(ELB) : Que conseillerais-tu à d’autres entrepreneurs qui veulent se lancer dans la gestion des connaissances au Burkina Faso ou dans la sous-région ?

(JYK) : Ne pas être trop ambitieux et perfectionniste ! Avoir le courage de commencer car l’apprentissage se fait sur la route et s’inspirer un peu de l’expérience de ceux qui ont de l’expérience en la matière. Je suis toujours très disposée à partager mon expérience avec ceux qui la respectent, qui lui accordent de la valeur et donc un prix. J’ai aussi développé un concept que j’appelle “STRATE-JYK”. Dans ce cadre j’ai rédigé des “fiches stratejyk” où je raconte mon expérience en création et gestion d’une petite entreprise.

(ELB) : Quelles sont tes sources d’inspiration dans ton travail et dans ta vie ?

(JYK) :  KM4Dev est une source d’inspiration très riche.

Je suis moins mystifiée par la connaissance des autres qu’avant. Je travaille à valoriser ma propre connaissance. Ça décomplexe, ça libère. On n’est plus éternel demandeur, on peut aussi proposer son offre.

J’essaie d’avoir des moments de bureau et des moments de terrain. Je réfléchis beaucoup aux méthodologies. Je peux passer plusieurs années à réfléchir et à tester pour pouvoir en fin de compte, standardiser. Je travaille comme un artisan mais j’ai des ambitions d’industriels. J’ai besoin d’expérimenter avant de mettre « sur le marché ». J’aime travailler de façon professionnelle. Je me paye le luxe de prendre le temps pour faire les choses ; quand c’est possible !

Certaines personnes me reprochent de ne pas être assez visible. J’assume cette politique de discrétion, qui du reste n’est que le reflet de ma personnalité. Et puis, le fait est que mon action, bien qu’étant encore à petite échelle est quand même connue et reconnue. Comme quoi, la meilleure communication n’est pas toujours celle que l’on fait soi-même ! Je ne suis pas un « réseaux sociaux  addict ». Les effets de mode en matière de NTIC, sont certes une grande opportunité, mais je suis très sélective et je ne prends que ce dont j’ai besoin au moment où je me sens prête. Je recherche un impact consistant et durable sur le long terme. Le challenge c’est de pouvoir vivre correctement au jour le jour, et là, on est bien sur du très court terme ! Sourire.

Bref, faire comme les autres, de façon systématique, non. Etre moi-même et ne pas perdre de vue mon objectif, c’est ce qui inspire mes décisions et mes actes, au risque parfois de ne pas être comprise.

Pour moi, la connaissance c’est ce qui nous rend autonomes. Tout ce qui me permet d’être autonome dans la vie c’est de la connaissance. Le reste, c’est du blabla.

Source: La gestion des connaissances au Burkina Faso, interview avec une pionnière : Jocelyne Yennenga Kompaoré", 30 Octobre 2013.

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