Eliza Anyangwe du Guardian s’entretient avec le directeur général d’IRC Patrick Moriarty sur le financement par les bailleurs et la défaillance à grande échelle des projets d’eau à court terme – constatée partout dans le monde.
Publié le: 07/10/2014
Dans cette interview, Patrick Moriarty explique pourquoi nous devons repenser la fourniture de services pérennes de façon radicale et quel rôle les bailleurs et les gouvernements devraient jouer.
IRC pense que pour atteindre une couverture universelle et durable en eau et en assainissement, il est nécessaire de sortir des sentiers battus. Le changement doit être systémique, et il commence par une vision partagée de services qui répondent aux besoins des populations, qui soient pérennes, équitables et bien gérés. IRC cherche à influencer le discours du secteur, en mettant l’accent sur l’utilisation et la gestion efficaces des équipements plutôt que sur leur simple construction, afin d’assurer des services d’eau, d’assainissement et d’hygiène qui fonctionnent dans la durée.
La viabilité a fait l’objet de beaucoup d’attention pendant la semaine mondiale de l’eau (World Water Week) qui s’est déroulée fin août dernier. Mais comment assurer la continuité de l’approvisionnement en eau et la pérennité des services ? Et comment faire pour s’assurer qu’ils soient pérennes ? Selon Moriarty, la collaboration avec les gouvernements est une condition sine qua non à la réalisation de ces objectifs.
Les ONG devraient s’employer à appuyer les gouvernements à mettre en œuvre des réformes, et non pas à distribuer des fonds. « Il s’agit surtout de susciter l’enthousiasme des autorités locales et de traduire le jargon du secteur » précise Moriarty dans son interview avec le Guardian. Cependant, les mécanismes de financement sont au cœur de nombreux défis du secteur. « Il faut du courage de la part d’un bailleur pour oublier 30 ans de déceptions et de définir de nouvelles modalités avec les gouvernements ». Et comment le convaincre de la nécessité d’une telle démarche ?
Interview en français :
Le troisième jour de la semaine mondiale de l’eau à Stockholm, l’épineuse question de savoir qui finance quoi est à l’ordre du jour.
Réunissez plusieurs professionnels du développement autour d’une table, et la conversation ne manquera pas de porter sur les questions de l’objet de l’aide et la responsabilisation des pays receveurs. Ici, à Stockholm, la ville qui accueille tous les ans un des plus grands rassemblements du secteur, on entend souvent l’argument suivant : les besoins dans les pays en développement sont si importants (presque deux milliards de personnes boivent de l’eau contenant des fèces), le nombre d’ouvrages défectueux si élevé, les systèmes de distribution et les modèles de financement si obsolètes, que la seule option appropriée pour une ONG semble être de fournir des équipements : un forage équipé d’une pompe à eau, des latrines scolaires, voire un filtre de désalinisation.
Or, au bout d’un an, la pompe tombe en panne, les latrines construites sont abandonnées – parfois même utilisées comme entrepôt – et le filtre a perdu son efficacité. L’agence d’exécution ne travaille plus dans la région, et pour la communauté, c’est le retour à la case départ. Une nouvelle ONG arrive et le processus recommence. « Au final, le plus gros problème des communautés n’est pas tant le manque d’eau que la multiplicité des systèmes coexistant au sein d’un pays, systèmes tous défaillants », explique Jenda Terpstra, consultante en communication à IRC.
Pour son employeur, il existe une autre solution, à savoir que les ONG apportent leur soutien aux gouvernements pour réaliser et mettre en œuvre des réformes, au lieu de faire la charité. Cette approche serait sans doute bien accueillie par le secteur, mais il suffit d’examiner la destination des ressources allouées pour se rendre compte que les bonnes idées ne sont pas appliquées dans la pratique.
« Il y a une dichotomie entre les théories et les actions » confirme Patrick Moriarty, directeur général d’IRC. Cette ONG se définissant comme un « think-and-do-tank » est établie aux Pays-Bas et plaide pour « une fourniture de services d’eau, d’assainissement et d’hygiène adéquats, pas seulement pour quelques personnes pour une certaine durée, mais pour tous, pour toujours » (voir aussi l’article sur l’initiative Everyone forever).
Moriarty souligne également que pour atteindre cet objectif, il faut obligatoirement collaborer avec les gouvernements. « L’apport du secteur privé est bien sûr indispensable, mais il doit être réglementé ». De même, « les nouvelles initiatives sociales sont bien intentionnées, mais elles ne sont jamais déployées à grande échelle. Nous devons repenser la fourniture de services pérennes de façon radicale ».
Il suffit de suivre les mécanismes de financement du secteur pour obtenir la réponse. Moriarty concède que, même si IRC s’attèle à donner le bon exemple (« notre organisation dispose de 10 millions d’euros et d’un effectif de 100 collaborateurs, mais nous ne réalisons pas un seul projet d’infrastructures), il est parfois difficile de convaincre les bailleurs de fonds des vertus de cette approche.
« Il faut du courage de la part d’un bailleur pour oublier 30 ans de déceptions et de définir de nouvelles modalités avec les gouvernements. . Les contribuables des pays bailleurs font preuve d’une certaine désaffection pour l’aide, aussi a-t-on raison d’être exigeant sur les résultats attendus pour les sommes engagées, encore faut-il que ce soient les bons résultats… Si les sommes ont permis d’assurer l’accès à l’eau pour un million de personnes, on peut se demander si elles en bénéficieront encore dans deux ans ? »
Intuitivement, le raisonnement semble logique, pourtant les bailleurs hésitent à s’engager sur la nouvelle voie qu’est celle de la durée. En effet, les coûts du suivi et de l’évaluation s’en trouveront accrus, puisque les projets devront être suivis pour une période pouvant aller jusqu’à dix ans. Il sera plus difficile d’obtenir une adhésion politique, sachant que la durée des mandats électoraux dépasse rarement les cinq ans et que les ministres risquent de ne pas pouvoir présenter de résultats concluants à la fin de leur période de fonction. Les discussions sur l’appui à des services pérennes à grande échelle soulèvent aussi la question de savoir qui est responsable du processus et qui doit le financer. D’autres problèmes jalonnent la voie préconisée par Moriarty, mais selon lui, la meilleure façon de les résoudre est de prendre le taureau par les cornes. « Il s’agit surtout de susciter l’enthousiasme des autorités locales et de traduire le jargon du secteur pour se faire mieux comprendre ».
Êtes-vous d’accord ? Pensez-vous que les programmes d’approvisionnement en eau et en assainissement seraient plus efficaces si les ONG se chargeraient moins de la mise en œuvre directe et offraient plus de soutien aux gouvernements pour réaliser des réformes ? Plus précisément, dans le cadre de la discussion sur l’efficacité de l’aide et sur le principe « d’en avoir pour son argent », qu’est-ce qui constituerait une meilleure utilisation des fonds alloués par les bailleurs : le financement d’équipements ou le financement de systèmes et de services nationaux ?
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