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Publié le: 11/04/2011

Récit choisi pour le concours de narration Source.

Au village d’Akodokodoi en Ouganda du Nord, l'arbre nous divise. D'un côté, nous avons le personnel du projet CARE et les organisations partenaires assis sur des chaises basses pliantes en bois, en cercle, en vrac avec les hommes. De l'autre côté de l'arbre, les femmes se sont installées sur le sol. Je me demande si elles préfèrent cette séparation, pour un mieux allaiter leurs enfants au sein ou pour les déplacer d’un bras à l’autre. Certaines regardent au loin ou tiraillent distraitement des touffes d'herbe, les jambes allongées devant elles.

 
Il serait pourtant erroné d’affirmer que les femmes sont des observateurs désintéressés. Après que les hommes aient parlé de la façon dont la communauté a travaillé avec nous pour obtenir le forage qui est maintenant leur principale source d'eau, nous demandons aux femmes quelle différence ce forage a fait dans leur vie. Elles parlent sans hésitation et avec la précision des personnes qui savent de quoi elles parlent. La première chose qu'une femme nommée Janet Adongo dit, c'est que leurs maris ne les battent plus. Par le passé, elles partaient tôt le matin pour une distance de trois kilomètres jusqu’au point d’eau le plus proche, dans une école. Une fois là bas, elles s’alignaient pendant des heures. Elles rentraient chez elles pour trouver des maris enragés par la faim, car le déjeuner n’avait pas encore été préparé et méfiants à l’idée de perdre leurs épouses. La violence s’ensuivait.
 
« Cette installation encourage nos maris à nous aimer plus», soutient une femme.
Le fait que le manque d'eau à proximité conduit à la violence domestique n'est pas une surprise pour moi, ayant vu dans d'autres pays comment la pénurie d'eau affecte pratiquement tous les aspects de la vie domestique. Pourtant, cette situation semble particulièrement grave.
 
« Pourquoi je pose la question avec l'audace des naïfs ? Les hommes ne croient pas leurs femmes quand celles-ci disent qu'il faut une demi-journée pour aller chercher de l’eau ».

A ce stade, le rythme de la conversation reprend. Il ya des échanges entre les hommes et les femmes. Nous autres, attendons avec impatience la traduction.

Comme je l’ai compris, le point de vue des hommes se résume à ceci : la collecte d'eau est un fardeau à porter par la femme. Un des hommes va jusqu’à dire qu'il a payé une dot pour sa femme et que la question d'aller vérifier combien de temps il faut pour obtenir de l'eau n'est pas son affaire, elle doit travailler. Une femme rétorque qu'elle trouve la question de la dot insultante.

La situation dans le village d’Akodokodoi n'est pas typique. Mais elle est loin d'être singulière. C’était la preuve pour moi que l'eau n'est pas une question neutre, mais plutôt une question profondément politique et sexospécifique. Les femmes croupissent sous la charge de la collecte, une affaire dans laquelle elles n'ont guère le choix. Les femmes sont généralement exclues des décisions relatives à la façon dont l'eau est utilisée et est accessible, en particulier quand elle est utilisée à des fins de production comme l'agriculture

L'accès à l'eau potable réduit la mortalité due aux maladies diarrhéiques, elle aide à retenir les enfants à l'école et elle libère du temps que les gens peuvent utiliser pour gagner leur vie. Mais cela n’améliore que temporairement certains aspects de l'injustice faite aux femmes et aux filles. Si la pénurie d'eau augmente une fois de plus, ce sont les filles qui seront les premières à être retirées de l'école pour aller chercher l'eau, tandis que leurs frères ne seront pas dérangés.
 Quelles sont les implications pour les organisations de développement, les bailleurs, les gouvernements et autres acteurs qui font la promotion, le plaidoyer et qui mettent directement en œuvre des interventions qui améliorent l'accès à l'eau potable et l’assainissement ? Si donner l’accès à l'eau potable et l'assainissement nous met à la croisée du pouvoir et du préjugé constitue aussi pour nous une porte ouverte vers le changement et pour affronter les défis des normes culturelles et institutionnelles qui perpétuent l'inégalité. Procéder de cette façon va non seulement améliorer l'efficacité des programmes, comme nous l'avons vu de l'expérience directe dans des projets qui donnent la priorité à la participation des femmes, mais a également des répercussions de grande envergure, puisque ces normes sont également au cœur de la pauvreté et de nombreuses autres questions de justice sociale.

Prêt à défier le statut quo ?
Pour les organisations de développement, et si l'un de nos critères de sélection des communautés à assister en matière d’accès à l'eau était de savoir s'ils seraient prêts à contester le statu quo et à amener les hommes et les garçons à contribuer aux responsabilités de collecte de l’eau ? Et si les décideurs donnaient la priorité aux femmes en matière de contrôle et de propriété de l'eau et de la terre en tant qu’élément aussi important que leur droit à l’éducation ? Et si les conseils et les organes de gestion des bassins versants recherchaient activement la participation des femmes dans les organes de décision, sachant que les hommes et les femmes pensent et se servent de l'eau de manières très différentes ? Et si les donateurs soutenaient des politiques plus intelligentes pour la fourniture de l'eau et de l’assainissement ?

Après ce tour passionné, la conversation dans le village de Akodokodoi est passée à d'autres témoignages sur la différence essentielle que le point d'eau a fait dans la vie de la communauté. Mais j'ai été très émue par les premiers mots de ces femmes qui n'avaient pas peur de dire la vérité. Agissons avec la même détermination.

Malaika Wright (mwright@care.org), Chargée de l’Apprentissage et de Communications, équipe eau de CARE Etats-Unis

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