Publié le: 09/03/2018
La responsable du service de la communication et de l'intermédiation sociale de la direction générale de l'Assainissement, Aminata Traoré/Sirima, a déclaré dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la Femme, à Wakat Séra, que le phénomène de la défécation à l'air libre qui expose les populations notamment les femmes « est un problème de comportement social » et non de « moyen financier ». Aminata Traoré, sociologue de formation, s'exprime dans cet entretien sur le 8-Mars, l'accès à l'eau potable et la question de l'assainissement au Burkina, principalement.
Wakat Séra : Lors de sa campagne présidentielle, le président du Faso Roch Kaboré avait promis «zéro corvée» d'eau au Burkina. Les femmes à ce jour sentent-elles un soulagement à ce niveau?
Aminata Traoré/Sirima : C'est vrai que je suis du sous-secteur de l'Assainissement mais n'empêche, je peux quand même dire que les femmes ont ressenti les actions menées dans le cadre du programme présidentiel parce que vous avez dû entendre ça et là qu'il y a plusieurs ouvrages qui ont été réalisés, donc forcément cela va jouer sur la qualité de vie des populations bénéficiaires.
WS : Etes-vous satisfaite de la politique de l'eau du gouvernement qui doit soulager les femmes surtout pendant les périodes de canicule ?
AT/S : Je peux dire que la politique de l'eau est beaucoup appréciée mais comme vous l'aviez dit, c'est un programme, donc on ne peut pas tout faire en une année. Alors, il va de soi que ceux qui sont peut-être programmés pour la deuxième ou la troisième année patientent tout en observant la mise en application du programme dans les autres régions. Cela peut amener certains à penser que leur région est délaissée mais je pense que toutes les régions du pays sont concernées par ce programme qui a été élaboré en fonction des différents taux d'accès dans les régions, et c'est là où le besoin se fait le plus pressant que les actions sont menées.
WS : Selon des chiffres officiels, environ cinq millions de femmes risquent leur sécurité, dignité et santé, contraintes qu'elles sont de s'isoler dans la nature pour satisfaire un besoin naturel. Quel est l'état des lieux sur la pratique de la défécation à l'air libre ?
AT/S : C'est vrai qu'il y a des efforts qui sont faits pour arrêter le phénomène de la défécation à l'air libre, mais vous savez qu'en matière de changement de comportement, il faut vraiment du temps parce que des habitudes qui se sont installées pendant des années et des années, ce n'est pas en une année qu'on peut vraiment rompre avec cela. En tout cas des efforts sont faits au niveau du gouvernement. Nous avons une stratégie que nous avons élaborée et qui a été même adoptée en Conseil des ministres en octobre 2014, en l'occurrence la stratégie nationale «Assainissement Total Piloté par la Communauté (ATPC)» qui amène la communauté à prendre conscience de sa situation d'insalubrité et qui décide d'y mettre fin.
Il y a aussi d'autres actions comme le programme Fasotoilettes qui est à l'initiative d'IRC (centre d'expertise), accompagné bien sûr par le gouvernement qui invite chaque personne à réaliser un ouvrage d'assainissement pour un parent de sa localité. Je n'ai pas le nombre exact de réalisations parce que ce sont des données qui sont à actualiser chaque fois, mais nous avons plein de souscriptions pour la réalisation des latrines et à ce niveau le suivi est fait au niveau des différentes directions régionales. Donc il nous revient qu'il y a beaucoup de latrines qui sont réalisées dans ce cadre-là. Il y a également l'Assainissement Total Piloté par la Localité (ATPL) qui est développé par d'autres acteurs sur le terrain que nous accompagnons au niveau national, et donc il s'agit des leaders auprès de qui on fait ces plaidoyers-là pour qu'ils réalisent des ouvrages d'assainissements pour leurs populations en milieu rural.
WS : Combien de régions ont été touchées actuellement par cette campagne ?
AT/S : Toutes les régions sont touchées car comme je vous l'ai dit, ce sont les directions régionales qui portent cela à leur niveau. Au niveau national la direction est là pour coordonner mais au niveau régional, chaque direction porte ce programme. C'est vrai qu'il y a eu des campagnes qu'on a faites dans certaines régions mais ce n'est pas pour dire que les autres régions ne mettent pas en œuvre le programme.
WS : Le problème de la défécation à l'air libre, à en croire certains, est un problème de moyen car la réalisation d'une latrine n'est pas à la portée des ménages burkinabè. Qu'en dites-vous ?
Il faut que les gens comprennent aujourd'hui et pour toujours que la défécation à l'air libre n'est pas un problème de moyen. J'insiste pour dire que ce n'est pas une question de moyen mais bien une question de comportement. J'ai tantôt parlé d'ATPC pour dire qu'on n'a pas besoin de se réaliser une latrine de type moderne avec une dalle et tout. Au niveau local, vous avez des savoirs et savoir-faire locaux que nos communautés peuvent développer pour réaliser des latrines confortables qui respectent les conditions d'hygiène. Il y a des savoirs locaux qui existent et donc qu'il faut savoir exploiter. Si tous les acteurs de l'eau et l'assainissement arrivent à sensibiliser les populations en leur faisant comprendre que déféquer à l'air libre est nuisible d'abord pour elles et ensuite pour l'environnement avec les pollutions des eaux et autres, les gens changeront. Comment comprendre qu'on défèque devant les concessions et les gens vivent avec les excrétas et tout ? Donc il faut avec les différentes approches, arriver à choquer les gens pour qu'ils prennent conscience de leur situation et changer de comportement.
Vous allez voir qu'en milieu rural, il y a plein de gens qui sont capables de s'acheter des téléphones portables ou de grosses motos avec lesquelles ils roulent aller déféquer dans la nature. Une grosse moto peut réaliser combien de latrines dans un village ? Aussi, il y a un phénomène qui a été installé dans notre pays depuis plusieurs années qui est l'assistanat. On a beaucoup tendu la main sans vraiment chercher à travailler les mentalités. Or il faut apprendre aux gens à pêcher le poisson plutôt que de le leur donner chaque fois. Souvent même, il y a des gens qui ne savent pas pourquoi on leur donne une latrine. Dès que les initiateurs du projet repartent ils utilisent ces latrines à d'autres fins soit pour un poulailler, un magasin ou tout autre chose parce qu'ils n'ont pas compris pourquoi on leur a donné cette latrine-là. Donc je pense en connaissance de cause que c'est plus un problème de changement de comportement qu'un problème de moyen. C'est vrai qu'il y a des indigents qu'on doit accompagner puisque quand vous arrivez dans une localité, les habitants entre eux-mêmes désignent les nantis et les pauvres qu'il faut aider.
Alors je termine sur ce point pour dire que ce n'est pas un problème financier mais c'est surtout un problème de comportement. Donc il faut veiller à travailler sur la mentalité des gens, à changer certaines croyances avant de les accompagner financièrement.
WS : Pensez-vous que les droits des femmes dans leur ensemble sont respectés de nos jours au Burkina ?
AT/S : De façon générale il faut dire que ce n'est pas facile. Malgré les efforts du gouvernement il faut reconnaître qu'il y a des difficultés. Par exemple si vous prenez toujours le souci de l'accès à l'eau potable que je maîtrise le mieux, on sent qu'il y a toujours des difficultés or on dit que tout être humain a droit à l'eau potable. Le problème est encore plus criard car la corvée d'eau est beaucoup plus portée par la femme. Donc si cette corvée n'est pas zéro, forcément les droits de la femme ne sont pas tout à fait comblés dans ce sens-là. Sinon, comme j'ai eu à le dire, le gouvernement fournit des efforts puisque le pays a ratifié pleines de conventions internationales pour assurer le droit des personnes notamment des femmes mais dans la réalité il y a des actions qui ne permettent pas dans le temps, d'atteindre ces objectifs.
WS : Quelles solutions préconisez-vous pour sortir la femme de la pauvreté ?
AT/S : Il faut amener les femmes à porter leur développement. Il faut amener les femmes vers des actions qui vont les amener à être beaucoup plus indépendantes. Il faut renforcer leur capacité en menant des études qui vont permettre de recenser leurs réels besoins et les renforcer. Ensuite il faut les accompagner financièrement afin qu'elles puissent démarrer leurs activités. Il faut à la fin organiser des suivis et évaluations pour voir s'il y a des résultats.
WS : Quelle est votre position sur l'annulation de la parade du 8-Mars cette année ?
AT/S : Personnellement je ne sais pas pourquoi on faisait la parade parce que le 8-Mars est l'occasion vraiment pour les femmes de s'asseoir et étaler tout ce qu'elles ont comme problèmes et échanger en vue d'apporter des solutions. Sinon la parade comme son nom l'indique, qu'est-ce qu'elle apporte comme plus aux femmes ? Ce qu'on dépense dans la parade si cela pouvait servir à financer des plateformes multisectorielles à des groupements de femmes, cela allait booster le développement du pays. Donc moi je trouve même cette mesure salutaire. Je n'ai jamais assisté à une parade encore moins à un Djandjoba (réjouissance) de 8-Mars. Je n'ai jamais apprécié justement cette manière de célébrer la Journée internationale de la Femme.
WS : Avez-vous un souhait ?
AT/S : Comme on est dans la dynamique de la célébration de la Journée internationale de la femme, j'invite vraiment les femmes à porter cette question de l'hygiène et de l'assainissement car elle est vraiment fondamentale. Elle est à la base de tout. La résolution de cette problématique transversale permettra du coup de résoudre les problèmes de la santé et de l'éducation. Il faut veiller à l'hygiène et à l'assainissement de son cadre de vie. Et là si dès la base les enfants intègrent ces bons comportements, vous allez voir qu'ils vont grandir avec ces nouvelles habitudes qui vont se répercuter dans la société.
Par Bernard BOUGOUM